Le marché sur l'eau


Nous reproduisons ci-dessous une sélection de la remarquable collection de cartes postales réunies par C. Larcher  en vous conseillant de parcourir son site web :     larcher.c.free.fr

Véritables documents ethnographiques, ces anciennes cartes postales reflètent bien l'ambiance de ce marché...


Un témoignage émouvant

 

Nous ne résistons pas  à reproduire ici le témoignage poignant d’une hortillonne âgée de 82 ans rapporté en 1890 par Th. Rattel.

 

Dans les propos, tenus par cette hortillonne alors qu’elle n’avait que 13 ans, nous apprenons entre autres que l’on était hortillonne de mère en fille, que 2000 à 3000 personnes vivaient de culture des hortillonnages* ; que les marchés avaient lieu tous les mardis, jeudis et samedis de chaque semaine et que les vendeuses devaient y être rendues à 4 heures ½, quelquefois à 3h ½ du matin.

 

« Je n’ai pas fermé l’œil de la nuit, tant j’étais heureuse de mon rôle de grande fille. A deux heures, je descendais la Somme précédée seulement de quelques barques mais suivie de plusieurs centaines…/… On vous a déjà représenté, Monsieur, la descente laborieuse de la Somme par une femme seule, la nuit, entre le ciel et l’eau, pendant un orage au milieu du tonnerre et des éclairs, ou bien l’hiver cassant la glace pour se frayer un passage.

 

On ne vous a point dépeint, Monsieur, la descente féérique de la Somme en juin et juillet. A cette époque de l’année, les nuits ne sont pas sombres, et avant trois heures du matin, à l’Est l’aurore blanchit le ciel, bientôt sur les eaux limpides du fleuve se reflètent les constructions pittoresques des environs, les arbres des bords et comme dans un miroir, on voit des centaines de barques se croiser, voler, se devancer à l’envi, glisser sans jamais se heurter, les bras et les rames se lever, retomber en cadence, l’arrière des embarcations se baisser jusqu’à fleur d’eau sous le poids et l’effort des hortillonnes, pendant que l’avant se relève majestueusement. Lorsque le soleil se lève et que ses rayons, perçant la brume vaporeuse, colorent de mille feux les ondulations des eaux : lorsque l’œil embrasse et le fleuve entrant dans la cité industrieuse parles trois arches en ogives, toutes en grès de l’antique pont du Cange, et l’immense vaisseau de Notre-Dame qui se déploie dans toute la partie gauche du bout de la colline dont l’Avre arrose le pied ; et la flèche de cette superbe basilique se dessinant dans une gaze de lumière ; et les hortillonnages s’étendant à perte de vue  comme une immense galerie de tableaux de verdure dont les rieux et les rigoles sont les cadres argentés ; et toute la ville endormie, c’est le plus beau spectacle après celui du ciel.

 

L’arrivée au port d’Amont des bateaux de légumes est aussi bien digne d’admiration. Toutes ces barques numérotées viennent s’amarrer côte à côte au quai de la place Parmentier. Sans autres police que le bon vouloir de toutes les hortillonnes, les batelets s’avancent prennent place à l’endroit où venaient s’amarrer les batelets de chacune des nos aïeules, et successivement les mannes se déchargent au bas du Marché, dans le plus grand ordre et sans querelle. Il faut voir avec quelle coquetterie les légumes sont disposés, étagés les uns sur les autres comme un immense bouquet de radis rose, de navets et couronnés de choux de 20 à 30 kilog., de betteraves rouges de 10 à 12 kilog., des radis de Tournay de 6, 8 et 10 kilog. Tels sont les lots, telles sont les hortillonnes. A la disposition des légumes, on devine la propreté, le soin, l’ordre de chacun.

 

Dans la belle saison, l’air s’embaume du parfum des plus belles fleurs. Les fraises, les cerises, les prunes, les framboises, les pommes, les poires, les groseilles y ajoutent ce je ne sais quoi d’embaumé qui nous amène les clients, comme le miel attire l’abeille dans le calice des fleurs.

…/…

Les bateaux sont vides, le marché est rempli avec symétrie, bondé de toutes parts. En juillet et août, chaque bateau contient bien, selon ses dimensions, 120 à 125 mannes de toutes espèces de légumes, de 2 fr. en moyenne, et plus de 150 bateaux ont descendu le fleuve. C’est en moyenne 18 000 mannes, c’est-à-dire 30 à 36 mille francs. Plus de 200 voitures d’hortillons en aval d’Amiens, ont amené aussi la même quantité et la même variété de légumes et de fruits pour être vendus aux marchands de la ville et des villages d’alentour, aux cordons bleus, aux ménagères qu’une sage économie a arrachées au lit conjugal dans la crainte de voir danser trop haut l’anse du panier dans les mains d’une cuisinière                                     .

C’est maintenant 36 000 mannes sur le marché ; c’est au bas mot pour 50 000 fr. de légumes, à certains jours.

 

Suivant une note qui lui a été adressée par M. le maire d’Amiens, en 1833, M. de la Thury établit ainsi le produit des hortillonnages :

Printemps : 270 000 fr ; Eté : 270 000 fr ; Automne : 135 000 fr ; Hiver : 135 000 fr. Total : 810 000 fr.

Maintenant, c’est par plusieurs millions que se chiffre le produit de la culture maraîchère par les hortillons.

…/…

Si vous n’avez pu voir sans étonnement l’adresse avec laquelle les femmes des hortillons, ou jardiniers de la voirie, conduisent les bateaux chargés de légumes sur la Somme, si vous avez remarqué avec quelle dextérité elles emploient la pelle de bois, en guise de rame, et arrivent ainsi au port d’Amont lorsque le fleuve trop profond les empêche de se servir de l’aviron, vous constaterez que le retour est plus pénible et sans charme. Car, après le marché, le soleil est haut à l’horizon, la chaleur commence à se faire sentir. Si la barque est plus légère, le cours du fleuve est plus rapide, et il faut le remonter. Ce n’est plus de rame, ni de pelle qu’il s’agit alors. On se passe une corde sur l’épaule et on remorque son bateau. Le produit de la vente allège la route et la rend facile »

 


Une source d'inspiration pour les artistes


Le marché sur l'eau et la place du don avec , en arrière-plan, l'imposante cathédrale a toujours été une source d'inspiration pour les artistes.

 

Auteur : Duthoit

Auteur : Kuwasseg

Source : Gilles Chambon (2003)

Auteur : Eugène Baland

Source : Gilles Chambon (2003)


A propos des deux derniers tableaux ci-dessus, voir l'article très intéressant de Gilles Chambon " Cathédrale et marché des hortillons vus de la rue de la Queue de vache (2003)

Site Web : http://art-figuration.blogspot.fr/2013/05/amiens-cathedrale-et-marche-des.html


Le marché aujourd'hui

Photo B. Bréart
Photo B. Bréart

 

Si la centaine de barques accostées jadis au quai ne sont plus présentes,

subsiste malgré tout, au même endroit, là où des générations d'hortillons se sont succédés, un marché hebdomadaire (le samedi matin) très animé où les Amiénois viennent se ravitailler en bons  tchots légumes des hortillonnages.

 

 

 

 


Le label  " Les tchots légumes des hortillons " ("les petits légumes des hortillons" en picard) a été déposé en 1998 officiellement. Cette opération, qui regroupe sept hortillons avait pour but, en particulier, de rassembler les productions de ces maraîchers afin d'assurer une bonne commercialisation auprès d'acheteurs fidélisés.