La baie de Somme a longtemps été le principal attrait touristique du département. A ce titre, elle bénéficia d’une attention particulière : constitution d’une réserve naturelle, promotion du domaine du Marquenterre, création d’une maison de l’oiseau, convergence d’activités menées par de multiples associations de protection de la nature… sans oublier la décentralisation de l’université Jules Verne avec l’implantation d’une antenne et de laboratoires implantés in situ.
Depuis quelques années, les collectivités locales et territoriales investissent – et ce n’est que justice - dans l’arrière-pays. La Vallée de la Somme, véritable colonne vertébrale du département, est devenue un centre d’intérêt et de multiples projets ont pu se concrétiser comme le "Grand Projet Vallée de Somme"...
Ainsi, le Conseil Général de la Somme mène dans le cadre de ce « Grand Projet » une politique d’aménagement des sites « naturels », développe les bistrots de pays, restaure les maisons éclusières, etc.
Notre sélection vidéo :
Grand projet vallée de Somme : Site web : http://www.somme.fr/grand-projet-vallee-somme
La Baie de Somme vue du ciel : Site web : https://youtu.be/ffhm-h9S1cw
Suite de l'article paru dans le magazine "Vieilles maisons françaises", n° spécial
consacré au département de la Somme, n°119, octobre 1987, pp. 20-26
Vallée de la Somme, vallée de la Préhistoire...
La vallée de la Somme a un heureux destin archéologique. Au milieu du XIXème siècle, c’est grâce aux découvertes faites dans les alluvions de cette vallée que s’affirma la notion capitale de la très haute antiquité de l’espèce humaine.
Dès le XVIIIème siècle, on voit le long de nos vallées se creuser et tout un peuple « aller à la tourbe » Tous ces remaniements du sol picard n’ont pas été sans provoquer nombre de découvertes et très vite, l’attention des naturalistes, des savants du muséum comme des érudits locaux est attirée par les trouvailles faites dans les tourbières : des éléments appartenant à une grosse faune, des outils de silex, etc .
Ces « musées d’antiquités » - l’expression est de Laurent TRAULLE – fourniront les premiers documents intéressant la Préhistoire : d’autres témoignages, attribués plus tard à des périodes plus lointaines, seront recueillis dans les carrières, les exploitations de graviers ou de « terre à briques » qui ne tardèrent pas à se développer par la suite, comme à Cagny par exemple.
Ainsi, c’est grâce aux travaux effectués principalement dans la vallée de la Somme, d’abord aux environs d’ABBEVILLE, par des précurseurs de talent comme Laurent TRAULLE (1811), Casimir PICARD (1835) et surtout Jacques BOUCHER DE PERTHES (1847) que la contemporanéité de l’Homme et des grands mammifères disparus a été admise et que, implicitement, la notion de la lointaine origine de l’espèce humaine à été reconnue.
L’homme préhistorique a donc vécu, il y a plusieurs centaines de milliers d’années, sur les bords de la Somme – et ses principaux affluents comme l’Avre – nous laissant comme seuls vestiges, ces innombrables silex taillés qui composaient l’essentiel de l’outillage primitif qui nous soit parvenu.
Sans faire l’historique des principales étapes et multiples péripéties, qui ont conduit les chercheurs – non sans difficulté, il faut bien l’avouer - à faire admettre nos origines fort lointaines, je retiendrai pour ma part une date importante : 1859.
1859 sera l’année où, pour la première fois, des fouilles seront scientifiquement menées dans les alluvions quaternaires à SAINT-ACHEUL, ce petit faubourg d’AMIENS qui donnera par la suite son nom pour caractériser l’un des plus anciens types de silex taillés : « l’acheuléen »
En 1859, le premier rapport scientifique sur les découvertes préhistoriques de SAINT-ACHEUL est ainsi publié par Albert GAUDRY, à l’Académie des Sciences. La Préhistoire – en tant que science – aurait désormais droit de cité dans le monde scientifique ! –
Les recherches préhistoriques se multiplieront et durant toute la première moitié du XXème siècle, des chercheurs comme Victor COMMONT, puis l’abbé Henri BREUIL – surnommé le pape de la Préhistoire -, en observant scrupuleusement les coupes géologiques livrées par le front de taille de nos carrières, et en étudiant le matériel archéologique récolté, définiront les bases la chronologie du Paléolithique inférieur
Paléolithique : l’âge de la pierre ancienne (que l’on dénommait anciennement - lorsque j’avais des culottes courtes - l’âge de la pierre taillée, période des chasseurs entièrement dépendant des produits de la nature, par opposition à l’âge de la pierre polie, période plus récente marquant la fin de la préhistoire et correspondant entre autres au développement d’agriculture et de l’élevage, puis à la généralisation de la sédentarisation).
En 1859, sortira également un ouvrage fondamental pour les sciences humaines, à savoir la théorie de Charles DARWIN sur l’évolution des espèces…
Avant de passer directement à la présentation du site de CAGNY – qui nous intéresse aujourd’hui – deux mots sur le cadre géologique qui va nous permettre de comprendre l’intérêt d’une coupe comme celle qui a été préservée dans le petit bois de la Garenne...
Le Quaternaire définit la dernière ère géologique (de 2,5 à 3 millions d’années à nos jours), la plus courte si l’on considère la très longue histoire géologique de la Terre (plus de 4,5 milliards d’années).
Cette ère est caractérisée par une grande instabilité climatique (glaciations) et ses multiples conséquences : l’alternance de périodes froides et de périodes tempérées intervenant sur la migration et la modification de la flore et de la faune, entraînant par la-même un changement dans le mode de vie de l’homme préhistorique.
Le relief se trouve également modifié : les variations climatiques
commandant le rythme et l’intensité des différentes phases de creusement et d’alluvionnement de nos vallées
.
Les rivières, comme la Somme – ou l’Avre – surcreusent leurs lits et abandonnent une partie de leurs alluvions sur le flanc de leurs vallées. Ces anciens lits auxquels viennent s’ajouter les
matériaux d’origine périglaciaire « classés » par le cours d’eau, constituent ce que les géologues et préhistoriens appellent des « terrasses fluviatiles ». Dans
celles-ci, étagées sur les versants et donc d’âge décroissants, le préhistorien repère les vestiges abandonnés par l’homme préhistorique qui venait s’approvisionner en matière première et tailler
le silex sur les berges de la rivière.
Les plus vieilles industries humaines seront donc recherchées (en principe) dans les terrasses les plus hautes, c’est-à-dire les plus anciennes.
Les formations fluviatiles, sables et graviers, ont été souvent recouvertes par de nombreux dépôts accumulés au cours des périodes glaciaires, bien conservés au niveau des versants sous le vent et bien observables dans la partie moyenne de la vallée de la Somme (entre Abbeville et Amiens). Ce sont principalement les loess, véritables poussières transportées lors des fortes tempêtes qui feront fuir hommes et animaux.
La succession de ces différents dépôts loessiques, entrecoupés d’anciens sols (paléosols) et complétés par des apports latéraux plus grossiers dûs aux solifluxions qui se produisent lors des réchauffements, compose la coupe stratigraphique. L’analyse de cette dernière permettra la « datation relative » des sites paléolithiques que l’on trouvera aux différents « étages » de la coupe.
Au niveau de la coupe stratigraphique, les vestiges repérés dans les couches les plus profondes correspondront aux occupations les plus anciennes.
La coupe quaternaire de CAGNY Garenne
Ce front de taille présente sur plus de huit mètres de hauteur les nombreux dépôts de matériaux accumulés sur une ancienne terrasse de la vallée, lors des grands froids que connut notre région durant le quaternaire *.
Cette remarquable coupe, étalonnée par le géologue au service du préhistorien comme du paléontologue, nous offre les repères chronologiques nécessaires pour reconstituer l’histoire de l’Homme et nous renseigne sur l’évolution de son environnement.
Géologues, paléontologues et préhistoriens commenceront à « ranger » les couches géologiques dans l’ordre de leur dépôt, pour maîtriser le sens du temps ; ils connaîtront alors l’origine et l’histoire de leur formation, la succession des faunes, des flores et des vestiges...
Les alternances de périodes froides et sèches, chaudes et humides y sont « inscrites » ainsi que différents phénomènes géologiques tels que des altérations dues aux réchauffements (formation de sols), des phénomènes de solifluxions (coulées de masses de craie fluide gelée en profondeur (sur la partie droite du cliché).
Deux mots sur les vestiges
On désigne par « acheuléen » - depuis 1872 - l’ouillage de pierre taillée comparable à celui découvert dans les graviers de la moyenne terrasse de Saint-Acheul. Ainsi, l’acheuléen est aujourd’hui représenté un peu partout dans le monde (à l’exception de l’Amérique et de l’Australie, toutes deux colonisées plus tardivement) et couvrant une très longue période.
Les principales occupations acheuléennes rencontrées dans la vallée de la Somme ne remontent guère à plus de 4 à 500 000 ans.
L’industrie acheuléenne se caractérise par un outillage où domine le biface. Celui-ci acquiert progressivement une extrême finesse due à l’emploi d’un percuteur tendre qui permet de fines retouches, la confection de pièces plus plates et la réalisation de bords plus réguliers, voire parfaitement rectilignes avec un évident souci de la symétrie. Il est difficile de ne pas voir dans certaines de ces réalisations, la manifestation d’un certain sens accru de l’esthétique.
Quant aux formes elles-mêmes, elles sont bien définies et variées. Plusieurs dizaines de formes auraient été recensées : bifaces cordiformes, amygdaloïdes, lancéolés, subovalaires… La forme en limande restant la plus caractéristique de l’acheuléen moyen. L’outillage sur éclats est également varié et présent déjà de nombreux types d’outils que nous retrouverons dans le lot commun de la production des générations qui suivront.
à suivre...
BB
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Transcription de la vidéo :
A quoi assiste-t-on au XVIIIe siècle ? Eh bien, on assiste à un regain d’intérêt pour l’étude de tous ces mégalithes, les dolmens, les menhirs, les tumulus. Nous avons appelé ça la celtomanie. C’est vrai que pendant plus d’un siècle, les chercheurs, les érudits vont s’intéresser à ce type de monuments, des autels… Les mégalithes sont pris à l’époque pour des autels où on effectuait de sanglants sacrifices. Mais enfin, je pense qu’il faut dire que cette époque a entraîné pour de verbiages littéraires que de véritables fouilles. Il est indéniable de dire que le nom de Boucher de Perthes est associé au début, à l’origine de la préhistoire. Eh bien, on ne peut pas le dissocier d’autres chercheurs, des chercheurs comme Roland Traullé, comme le docteur Ravin, comme Casimir Picard qui, donc, à l’époque, sont regroupés au sein d’une société savante très importante, la société savante qui est la société d’émulation d’Abbeville qui existe toujours. Alors cette société réunit donc plusieurs chercheurs et plusieurs naturalistes qui font des études, qui, par exemple, s’intéressent aux découvertes que l’on fait notamment dans la baie de la Somme. Dans les sablières, notamment la sablière de Menchecourt qui est quand même le site le plus important, le baron Cuvier a signalé à maintes reprises la richesse des sablières de Menchecourt.. Eh bien, on trouve des vestiges de grands mammifères disparus de nos régions comme le rhinocéros, comme l’éléphant, l’hippopotame, etc.
En 1837, on le retrouve en un lieu connu des Amiénois que nous appelons la Portelette. A cette époque-là, Abbeville, la ville d’Abbeville entreprend de nombreux travaux. C’est le croisement du canal de transit, c’est le réaménagement d’une porte d’Abbeville qui est la porte de Rouen. Et à ce lieu dit, la Portelette, eh bien, Boucher de Perthes va trouver, sous 8 mètres de tourbe, énormément de vestiges. Des haches polies, beaucoup de céramiques, des céramiques vraiment en quantité, des ossements de faunes, la faune récente puisque nous sommes dans la tourbe donc c’est de formation récente. Donc on peut considérer qu’en 1837, Boucher de Perthes réalise sa première fouille archéologique. A l’époque, bien entendu, tous les vestiges, on les attribue à l’époque celtique. Bon, avec le recul, maintenant, on peut dire qu’il était, en présence, là, de son premier site néolithique. Et entre parenthèses, un site très riche. Et ensuite, il se retrouve au banc de l’hôpital… le banc, ce n’est pas le banc sur lequel il va s’assoir, ce sont les couches de terrain qu’à l’époque, nous appelons des bancs. Eh bien, à l’occasion des travaux de l’hôpital d’Abbeville, un lieu qu’on peut situer aujourd'hui boulevard Vauban, qu’on peut retrouver facilement puisqu’il y a une plaque commémorative, il va trouver lui-même les premières pierres grossièrement taillées, les premières haches antédiluviennes. Donc là, on change de domaine. On quitte les entités celtiques c'est-à-dire récentes pour arriver aux antiquités antédiluviennes que l’on trouve. Et il y a eu cette idée géniale Boucher de Perthes qui est la suivante, à savoir : on trouve ces haches grossièrement taillées associées aux ossements d’éléphants, de rhinocéros donc l’homme qui est l’auteur de ces haches a une très grande antiquité. Et ça, ça a été vraiment la grande découverte de Boucher de Perthes.
En 1959, le premier soutien, il l’obtiendra de ses collègues britanniques, ce qui est curieux. On peut reprendre le célèbre : Nul n’est prophète en son pays. Ces chercheurs britanniques, les plus célèbres géologues, préhistoriens, Evans, Falconer, Prestwich et le très célèbre Charles Lyell n’hésitent pas à venir à Abbeville et à donc faire les observations et à apporter leur soutien, ce qui vaut, d’ailleurs, à l’époque, toute une série d’articles dans le Times qui est le quotidien célèbre vantant les mérites de Boucher de Perthes. Restaient à convaincre les savants parisiens. Et ça, ces savants seront convaincus à la suite du passage dans notre région, à Saint-Acheul, d’un savant incontesté qui est Albert Gaudry. Albert Gaudry viendra à Saint-Acheul, campera plusieurs jours et va réaliser les premières fouilles scientifiques. C'est-à-dire que là, pas de terrassier : il campe sur place, il fait ses observations. Et ce qui est important de dire, c’est qu’il va écrire le premier compte-rendu à l’Académie des sciences. Et ça, c’est important. 1859, on peut dire que c’est l’acte de baptême de la Préhistoire ici, à Saint-Acheul, confirmant les recherches de Boucher de Perthes.
Je vous invite à visiter le site de Saint-Acheul, mondialement connu notamment par les préhistoriens et les collégiens lorsqu’ils abordent, certes trop rapidement, l’étude de la préhistoire.
De nombreuses carrières exploitées au XIXème, avant que ne se développe l’urbanisation de ce quartier ont livré de nombreux vestiges préhistoriques qui ont permis d’établir les grandes phases de la chronologie préhistorique. Le front de taille d’une de ces carrières a été préservé et bénéficie d’ailleurs d’une protection au titre des monuments historiques. Elle est aujourd’hui présentée et commentée. Pour y accéder, vous emprunterez un long cheminement ponctué de repères chronologiques qui vous permettra de mesurer l’ampleur des temps préhistoriques...
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Amiens a accueilli du 30 mai au 4 juin 2016 le 28ème congrès préhistorique de France qui avait pour thème "la préhistoire de l'Europe du Nord-Ouest", une occasion pour les deux cents congressistes de découvrir ou redécouvrir les sites préhistoriques classiques de notre département...
Reportage ci-dessous: Présentation du site quaternaire de Cagny-Garenne (Photos B. Bréart)