Extraits d'une publication à paraître :
Bruno Bréart. Les Hortillonnages. une histoire profondément inscrite dans le paysage...
La formation des hortillonnages
Le paysage des hortillonnages est singulier. Il présente des caractéristiques qui en font un site unique, un produit de l’histoire locale. Un paysage façonné par des générations de tourbiers puis de maraîchers qui trouvèrent là, aux portes d’Amiens, des conditions favorables à l’extraction du combustible végétal qui chauffa des générations de Picards pour les premiers, à la mise en cultures des marais en terres fertiles pour les seconds.
Certes, il est difficile aujourd’hui aux nombreux touristes qui se précipitent chaque année pour visiter le site de percevoir l’action de l’Homme dans ce paysage que l’on présente encore trop souvent comme un patrimoine essentiellement naturel.
Seule la vision aérienne avec le survol du site ou la consultation des remarquables couvertures aériennes aujourd’hui facilement accessibles sur la toile (I.G.N., Google Maps, Bing…) permet d’entrevoir ces larges plans d’eau présentant des « entailles » aux rives quasi-rectilignes, rares témoins de l’extraction de la tourbe, puis, au cœur du site, les éléments d’un parcellaire "en lanières" heureusement préservés ...
Aussi, sommes-nous émerveillés devant cette mosaïque multicolore qui reflète plusieurs millénaires de travaux agraires, devant la richesse de la vision aérienne qui donne à ce paysage toute sa beauté et toute sa signification humaine. On pourrait sans hésitation reprendre les expressions du géographe Philippe Pinchemel, lorsque celui-ci décrit notre Picardie (Ph. Pinchemel, 1967) pour qualifier le paysage des hortillonnages : un paysage homogène, harmonieux et humanisé. Homogène grâce à l’uniformité de la constitution géologique. Harmonieux, par l’alliance de la terre et de l’eau. Humanisé, assurément. Ici, l'action de l’Homme a été prépondérante.
BB
Primitivement, les hortillonnages se sont principalement développés, aux portes d’Amiens, en amont et de part et d’autre de l'Avre puis de la Somme . Par la suite, le site s’est prolongé vers l’Est, le long des vallées de la Somme puis de l’Avre. Ils couvrent encore aujourd’hui 250 à 300 hectares dont plus du tiers en eau (étangs, marais, voies navigables), inégalement répartis sur quatre communes : Amiens, Rivery, Camon puis Longueau.
Comme le faisait déjà remarquer P. Dubois en 1907, les marais aménagés en aval d’Amiens, soit à Renancourt, Dreuil ou Longpré-lès-Amiens, ne pouvaient être rattachés aux hortillonnages. Même observation pour les marais de Ham et Flamicourt, en face de Péronne où ils prennent d’ailleurs le nom « d’hardines ».
Bien que quelques auteurs contemporains aient tenté quelques comparaisons plus ou moins heureuses avec d’autres sites et là nous pensons tout naturellement aux marais de Saint Omer ou de Bourges, au marais poitevin… et sans aller, comme certains l’ont osé, jusqu’ au Mexique sur les traces des Aztèques (site de Xichomilco) ou en Birmanie (Lac d’Inle), nous persistons à croire que ce site est unique.
Des conditions favorables particulières et diverses ont en effet permis très tôt à l’homme de transformer ces marais, qui n’étaient alors fréquentés que par les pêcheurs et les chasseurs, en terrains cultivables et rendus fertiles.
■ Des conditions géologiques et géopédologiques favorables…
Le faible débit de la Somme (20 à 30 m3/s. en moyenne), le cours régulier de ce fleuve paisible, la largeur de la vallée alluviale aux portes d’Amiens ont permis la formation d’une tourbe de qualité, riche en matières organiques et propice au développement des cultures maraîchères. La fertilité des terres a été souvent louée au cours des siècles par de nombreux auteurs, mais n’ignorons pas que c’était au prix d’un amendement régulier, un amendement d’autant plus nécessaire que l’hortillon ne laissait guère de repos aux terres en prévoyant plusieurs « charges » échelonnées tout au long de l’année. Avant que les premiers engrais chimiques ne soient adoptés par les hortillons, et ce avec beaucoup de réserves, la consommation de fumier a été en effet longtemps très importante. Celle-ci est passée par exemple de 3 à 4000 kg par « quartier » (un peu plus de 1000 mètres carrés) en 1835, à 1500, 2000 kg en 1935, soit près de la moitié.
■ Des conditions topographiques privilégiées…
La proximité du centre urbain, accessible par la voie fluviale en descendant le cours de la Somme, permettait aux hortillons, trois fois par semaine, d’écouler leurs marchandises au Port d’Amont, où subsiste de nos jours un petit marché hebdomadaire qui a gardé le nom de « marché sur l’eau » (place Parmentier).
Comme nous l’avons vu plus haut, primitivement, les hortillonnages se sont greffés sur la Somme depuis sa confluence avec l’Avre, là où cette portion de vallée, est sensiblement orientée Est-Ouest. Cette situation privilégiée, permettait aux cultures de bénéficier d’un ensoleillement journalier maximum et continu.
■ Des conditions historiques particulières (que nous développons ailleurs)
Les hortillons ont donc su tirer parti de ces conditions favorables et concevoir un aménagement judicieux, transformant ces marais en une multitude d’îlots drainés par un savant réseau de petits fossés et de canaux dont nous mesurons la pertinence en consultant par exemple les plans du cadastre napoléonien, datés du milieu du XIXème. Ils illustrent à merveille le type de parcellaire laniéré, (en « lames de parquet » diront certains) si singulier, adopté par les hortillons. Les parcelles sont longues et très étroites, répondant ainsi aux modes d’exploitation et aux contraintes de l’époque.
Faut-il rappeler, qu’en l’absence d’équipements motorisés, l’ensemble des travaux s’effectuait manuellement, que l’arrosage des cultures par exemple s’effectuait par aspersion, à l’aide de l’écope qui puisait l’eau à même les rieux !
BB