TEMOIGNAGES

Parfois, pour connaître son propre pays, un des meilleurs moyens consiste à demander à des visiteurs étrangers de faire part de leurs impressions… » 

                                                     (M. Barnier, Ministre de l’Environnement)

En 1989, le ministère de l’environnement a commandé une mission d’expertise du paysage français confiée à trois personnalités, experts internationaux, dont John Dixon Hunt, historien des jardins anglo-américain, qui, selon M. Barnier, « admire la richesse de nos parcs et jardins qui sont des révélateurs mais aussi des laboratoires de paysages et s’inquiète du manque d’attention à l’égard de ce patrimoine culturel te paysager majeur. Comme l’Unesco, il affirme le lien entre jardins et paysages culturels »

John Dixon Hunt, dans le cadre de cette mission, a choisi de s’intéresser aux Hortillonnages. Nous ne résistons à publier un extrait de son analyse dont nous apprécions la pertinence (1)

« Je dirais que les Hortillonnages représentent à leur manière à la fois leur propre histoire et leur topographie unique. Comme ces deux aspects sont particulièrement menacés, les Hortillonnages risquent eux-mêmes de disparaître. Or en tant que site patrimonial unique et type de jardin vernaculaire quasiment inexistant ailleurs, leur préservation en vaut vraiment la peine (les jardins ouvriers existent partout en France, mais ils n’ont ni l’histoire ni ce trait caractéristique de se situer entre la deuxième et troisième nature, et mis en péril par la première).

Ce qu’il convient de remarquer maintenant, c’est l’extrême difficulté qu’il y a à préserver un jardin dont la survie dépend d’éléments écologiques et sociaux qui lui sont extérieurs (cela est vrai pour tous les jardins, mais tout particulièrement ici à Amiens). Les Hortillonnages qui procèdent de manière précaire de la première nature dépendent principalement du contexte environnemental, lequel doit être « sauvé » au même titre que les Hortillonnages eux-mêmes. La partie historique (les jardins les plus anciens que nous avons visités) était, récemment encore, entretenue par un petit groupe de gens très liés, qui produisaient des légumes consommés localement ou vendus. Maintenant, les Hortillonnages sont sujets à des pressions déstabilisantes : écologiques – le niveau d’eau de ce site riverain privilégié, garanti autrefois, doit être maintenu à un degré préçis si l’on veut assurer la survie des jardins ; urbanistiques – la ville empiète de manière telle qu’elle menace le caractère distinctif, la singularité du site physique comme la communauté de ses exploitants (ainsi tout ce qui générait la vue sur la cathédrale d’Amiens à partir des petits canaux, ou tout ce qui viendrait dévaloriser ou rivaliser avec ce réseau d’eau et de parcelles de terre, un parc d’attraction par exemple, serait désastreux) ; économico-sociaux – la communauté des exploitants traditionnels est de moins en moins soudée, par conséquent les terrains agraires sont condamnés à survivre, s’ils survivent, sous forme de jardins d’agrément pareils à ceux que l’on peut voir le long de la ligne ferroviaire entre Rotterdam et Amsterdam. Une certaine tendance à la « décoration » existe déjà : les parterres de fleurs et de buissons ainsi que les maisonnettes de campagne prolifèrent, et l’esthétique petite-bourgeoise qui, à l’encontre de grande tradition jardinière, établit une distinction nette entre beauté et usage, plaisir et profit, commence à triompher."

  

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Cf.  Y. Nakamura, Dirk Frieling, J. Dixon Hunt, Trois regards sur le paysage français, éd. Champ Vallon,1993